Finalement, que vais-je laisser comme héritage ? Des valeurs financières et/ou des ‘valeurs’ ?
Depuis plus de 30 ans, j’en ai rédigé des testaments authentiques (forme notariée) et laissez-moi vous dire que ce n’est pas seulement une affaire d’argent; mes clients ont souvent longtemps mûri leur décision de venir me rencontrer, car une telle démarche brasse les émotions et fait appel à du vécu, que cela concerne les bons ou les mauvais côtés de la vie.
Être équitable ne signifie pas nécessaire être égal envers ses enfants. Bien-sûr le quantitatif prend beaucoup de place dans la réflexion, mais le qualitatif ne doit pas être négligé. Le testament vient aussi du cœur, de notre ressenti, du souvenir que l’on veut laisser chez nos successibles.
Il m’arrive parfois de suggérer à mon client d’inclure un paragraphe qui permette de cerner le contexte qui sous tend le partage souhaité. Je cite ici un exemple vécu: Une cliente, médecin, a un conjoint depuis plus de vingt ans, mais ils vivent chacun sous leur toit, ont tous deux des enfants maintenant autonomes, gèrent leurs affaires tout à fait indépendamment l’un de l’autre, jouissent chacun d’un confortable salaire et partagent les dépenses sans problème quand il le faut, par exemple les voyages.
Ma cliente éprouvait un malaise de ne rien léguer à son conjoint. Elle fut soulagée et parfaitement confortable lorsque je lui ai proposé le paragraphe suivant à insérer dans son testament: ‘J’espère de tout coeur que mon conjoint X comprendra pourquoi il n’est pas parmi mes successibles, vu nos modes de vie respectifs, qui nous ont permis de vivre si heureux ensemble; cela n’a aucun lien avec l’Amour que j’éprouve pour lui; j’aurais trouvé tout à fait normal que ne soit pas moi-même nommée en son propre testament’.
Le testament doit contenir le moins possible de ‘points de rattachement chronologiques’ qui perdent de la valeur avec le temps. Je m’explique par un exemple puisé dans un testament que j’ai reçu dans un dossier de règlement de succession ouvert cette semaine à mon bureau (testament reçu en 1991 devant un autre notaire). Ce testament contient le legs suivant: ‘ Je lègue vingt mille dollars (20000$) à monsieur X, à condition qu’il fasse un voyage en Inde avec ma fille Y’ !!!! Nous sommes en 2015 ! Le contexte de l’époque n’existe plus et, cerise sur le sundae, monsieur X est aussi désigné comme liquidateur de la succession ! Beau débat en perspective…
Si j’avais eu à rédiger une telle clause, je l’aurais limitée dans le temps et y aurait ajouté des conditions strictes d’exécution (âge limite de l’enfant, mode de contrôle du versement de la somme etc…).
N’oublions pas qu’un testament ne peut satisfaire tout le monde, de toute manière.
Jean Martel notaire, mba, D.fisc., conseiller juridique